Une station de recherche en Ariège pour étudier les effets du changement climatique sur la faune
Située sur la commune de Moulis, la Station d'écologie théorique et expérimentale s’est dotée d’infrastructures scientifiques sans équivalent à l’échelle européenne.
Deuxième volet d'une série de six articles sur les lieux insolites de la recherche au CNRS.
Sur les contreforts des Pyrénées centrales, à 100 km au sud de Toulouse, la Station d'écologie théorique et expérimentale (Sete)1 a discrètement élu domicile dans la commune ariégeoise de Moulis. Ce lieu de recherche accueille une panoplie d’installations, dont certaines uniques, qui permettent aux scientifiques de comprendre comment les espèces animales et végétales interagissent avec leurs écosystèmes et le climat.
Des metatrons terrestre et aquatique – installations expérimentales géantes modulaires – aux grottes instrumentées, en passant par des serres et des volières, la riche panoplie détonne par son inventivité. « Il n’y pas d’infrastructure similaire ailleurs dans le monde », confirme Camille Parmesan, la directrice de l'unité, qui précise que « l’étude des interactions avec les écosystèmes s’avère souvent complexe. C’est difficile pour les écologues d’accéder à des infrastructures qui offrent une échelle intermédiaire entre le laboratoire et l’observation sur le terrain. La Sete nous offre ce compromis sur le plan expérimental ».
Dans la grotte à protées
Le site a d’abord été consacré aux recherches dans les milieux souterrains et à la géologie, en particulier à travers sa grotte laboratoire dédiée à l'étude des organismes cavernicoles. Pendant près de soixante ans, le laboratoire souterrain de la Sete a ainsi servi à observer les populations de protées, un amphibien des cavernes. Unique vertébré strictement cavernicole d’Europe, cette espèce protégée mesure entre 15 et 25 cm. Aveugle, la peau totalement dépigmentée, il peut vivre plus de cent ans. Pour observer les spécimens qui s’y trouvent, les scientifiques ont installé dans la grotte de Moulis des aquariums et des bassins en ciment alimentés par les eaux de la rivière souterraine.
Plus d’une trentaine de protées y sont étudiés afin de comprendre les mécanismes biologiques d’adaptation de cette espèce qui restent inchangés depuis des millions d’années et dont l’étude du comportement peut se révéler intéressante pour la génétique ou encore la médecine. Les grottes abritant le laboratoire souterrain de Moulis, désormais au nombre de quatre dont deux instrumentées, constituent l’une des rares installations expérimentales du globe dédiées à leur recherche.
- 1CNRS.
En 2007, le site a été converti en une station d’écologie expérimentale. Il se dote alors d’une volière – un bâtiment de 200 m² contenant une cinquantaine de cages avec contrôle automatique de l’activité – et de serres organisées en douze cellules identiques sur un périmètre de 750 m², pilotées à distance pour en assurer une bonne climatisation. Le premier metatron, dédié à l’observation de la faune terrestre, voit également le jour à cette même période. Ce dispositif expérimental unique comprend une série de 48 enclos de 100m² chacun, répartis au total sur un périmètre de quatre hectares et reliés entre eux par des couloirs de 20 mètres de long.
Du metatron terrestre au metatron aquatique
Chaque enclos est constitué d’une structure filet étanche, dont la température peut être modulée de quelques degrés à l’aide de volets semi-occultants, et de systèmes d’arrosage, contrôlés par un système d’automates pilotés par des consignes liées aux capteurs climatiques. Les habitacles peuvent également être déconnectés les uns des autres en fermant certains couloirs, ce qui aide les écologues à tester les effets combinés du changement climatique et de la fragmentation des habitats sur les populations animales observées et sur leur écosystème. Ainsi, fermer un corridor du metatron reproduit ce que pourrait provoquer la construction d’une route ou d’un ensemble de bâtiments pour des espèces animales qui évoluent au sein d’un écosystème donné. Tous types d’espèces peuvent être étudiés dans le metatron : reptiles, amphibiens, insectes et même des micro-organismes... « Recréer ces conditions nous permet d’étudier les changements de comportement ou de phénotype des espèces dus à ces bouleversements d’origine anthropique », explique Julien Cote1 , responsable du metatron terrestre.
- 1Rattaché au Centre de recherche sur la biodiversité et l'environnement (CNRS / IRD / Toulouse INP / Université de Toulouse).
Depuis 2019, un second metatron est venu se greffer au premier. Destiné à l’observation des espèces aquatiques, il se compose de 144 bassins cylindriques de 2m3 chacun. Les bassins peuvent y être reliés à l’aide de corridors de dispersion. À l’intérieur des réservoirs, l’eau peut être chauffée grâce à l’utilisation de résistances. Les capteurs dans les bassins y suivent la température, le pH ou encore la conductivité de l’eau. Comme sur le metatron terrestre, les bassins peuvent être isolés les uns des autres afin de reproduire une fragmentation des habitats – de façon semblable à l’effet que pourrait produire la construction d’un barrage sur un espace naturel. « Nous pouvons aussi recouvrir certains bassins à l’aide d’un filet qui laisse passer l’air et réaliser ainsi des observations sur certaines populations d’insectes. Les espèces que nous observons vont des bactéries jusqu’aux poissons, en passant par le plancton et les crustacés. Nous observons des espèces qui évoluent en eaux douces », détaille Simon Blanchet, responsable du metatron aquatique. Ce dernier reste la seule infrastructure en son genre à l’échelle européenne, qui assure la réalisation de recherches scientifiques en jouant à la fois sur la température et sur la connectivité entre les habitats. « Les autres infrastructures similaires s’intéressent surtout à la simulation des conditions de température, mais pas à la fragmentation des habitats et son interaction avec la température », affirme Simon Blanchet.
Ces capacités expérimentales uniques sont intégrées dans l’infrastructure nationale « Analyse et expérimentation sur les écosystèmes » et dans son pendant européen du même nom. Elles offrent aux équipes de recherche internationales une très grande plasticité d’usage et un degré de réplicabilité sans équivalent au monde.
Les recherches menées ces dernières années sur les metatrons ont ainsi pu montrer que le réchauffement climatique impacte directement certaines espèces animales. C’est en particulier le cas des lézards vivipares, pour lesquels le réchauffement des températures impacte directement la physiologie. « Les jeunes lézards grandissent plus vite, les spécimens s’accouplent plus tôt du fait de l’augmentation des températures. Les lézards sont plus actifs, ce qui les amène aussi à vieillir plus vite. Les augmentations de température impactent aussi leur microbiote intestinal, qui s’avère déterminant pour assurer leur survie », commente Julien Cote. Des essais pilotes ont également été menés sur le metatron aquatique sur des communautés de macro-invertébrés et zooplancton, même si les analyses sont toujours en cours. « Les premiers résultats que nous avons sont contre-intuitifs », suggère Simon Blanchet. De quoi donner de l’espoir aux scientifiques et espérer de belles découvertes pour la suite.